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Respect des droits et pleine participation sociale des personnes en situations de handicap !       .

Édito N°1 - 2020

Et si l’inclusion était d’abord une valeur…

On est parfois gêné aux entournures avec le terme inclusion ou son qualificatif inclusif, tant ces termes désignent aujourd’hui des réalités différentes, et malheureusement souvent non inclusives. « Il/elle va en inclusion » dit-on parfois d’un élève en situation de handicap qui se rend dans une classe « ordinaire » avec des enfants « ordinaires », signe en définitive que sa place dans cette dite classe n’est qu’exceptionnelle, qu’il n’y a sa place qu’à titre dérogatoire.

En effet, l’inclusion désigne, dans son usage linguistique d’aujourd’hui, tout à la fois des états de fait (dont on voit qu’ils ne sont pas toujours inclusifs), des processus (une évolution d’une situation d’exclusion à une situation de plus grande participation) ou encore un idéal ou un horizon (désigné cette fois plutôt sous le terme de société inclusive)

Quelque soit l’usage sémantique du mot, il fait part trop facilement à une certaine tolérance (inconsciente ou consciente) que les choses restent en l’état ou avancent lentement. L’idéal ou l’horizon autorisent des étapes insatisfaisantes, le processus également, et l’état de fait nomme inclusion une réalité qui n’existe pas.

Il y aurait avantage à donner un autre usage à ce terme, celui de valeur. L’inclusion est une valeur, au sens éthique, qui affirme l’égale valeur de chacun, quelles que soient ses caractéristiques, dans le registre de l’humanité, qui affirme le droit de chaque personne en situation de handicap à vivre avec tout le monde et comme tout le monde, qui affirme la nécessité de l’accessibilité universelle.

Une valeur est un élément qui se situe sur les plans politique et éthique. Elle sert de lanterne permanente pour penser et agir, elle n’est pas ce qu’on peut remettre à demain. A ce titre le modèle inclusif devient le cadre permanent de nos attitudes, de nos réflexions, de nos actions, de nos initiatives, de nos positionnements, de notre regard critique sur le fonctionnement social. Et la garantie que n’est pas oubliée l’entière place des personnes en situation de handicap dans notre société.

Jean-Yves Le Capitaine

Édito N° 2 - 2021

Un point aveugle de la réforme du médico-social

Il y avait une nécessité de transformer les fonctionnements des établissements et services du secteur médico-social accompagnant les personnes en situation de handicap : malgré quelques évolutions, l’écart entre leurs fonctionnements et les modes de vie des personnes en situation de handicap ne cessait de grandir. Une réforme fondamentale est en cours, désignée sous le nom de SERAFIN-PH (services et établissements : réforme de l’adéquation des financements aux parcours des personnes handicapées), concrétisée par une modification des offres de services. Les prémisses de la réforme étaient justes : les services proposés aux personnes en situations de handicap sont-ils pertinents ? Répondent-ils aux besoins et aspirations des personnes ? Finance-t-on les bonnes réponses et les bonnes modalités de réponse ?

A la lecture de l’abondante littérature (du côté des administrations, des associations gestionnaires ou d’auteurs experts du secteur) qui a accompagné la réforme dans ces dernières années, on est frappé d’une chose : partout on parle des besoins, parfois en y ajoutant des attentes, et bien entendu de prestations, mais il n’y est nullement question de droits, ou alors de manière très marginale, et ceci une grande décennie après l’établissement de la convention internationale des droits des personnes handicapées par l’ONU. La référence aux droits manifeste un positionnement civique et citoyen, d’humanité à part entière des personnes concernées. Les droits ne s’exercent pas (ou ne s’acquièrent pas) dans un fonctionnement individuel dont la réponse aux besoins comblerait un écart. Ils s’exercent dans des situations de vie ou des habitudes de vie, et dans la possibilité de réalisation de celles-ci. Cette absence de référence aux droits constitue bien un point aveugle de la réforme.

La personne handicapée est définie et réduite à celle de besoin, c’est-à-dire à la mesure d’un écart avec un fonctionnement « normalisé ». Lorsque l’on ne conçoit l’humain que dans son fonctionnement (biologique, fonctionnel, social), il n’est d’autres solutions que de mesurer l’écart entre un fonctionnement donné (en fonction de caractéristiques d’un individu) et le fonctionnement normalisé dans tel ou tel environnement, et de définir cet écart par des besoins dont on peut plus facilement établir une nomenclature. On ne se préoccupe pas de la personne sociale, celle qui est en mesure (ou pas) de réaliser des habitudes de vie, d’effectuer des tâches d’une vie quotidienne satisfaisante, de tenir des rôles sociaux comme tout un chacun, de faire des choix de vie.

En identifiant ces préoccupations à des besoins, l’approche par le fonctionnement tient l’accès aux droits à une place secondaire. Elle considère en définitive le handicap comme un problème de santé, (non plus certes seulement individuel mais aussi social), et non comme un problème de citoyenneté et de droits.

Jean-Yves Le Capitaine

Édito N° 3 - 2021

Près des soins, loin des droits

La loi de 2005 contient en son titre les termes d’« égalité des droits ». Est-ce suffisant pour promouvoir les droits des personnes en situation de handicap, conformément à la convention internationale (ONU) relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) ? Manifestement non.

La conception française du handicap reste attachée, en particulier dans les politiques publiques, à une approche toujours « bio-psycho-médicale », certes aujourd’hui enrichie de social. Le handicap n’est pas encore inscrit comme sujet politique d’effectivité de réalisation des droits des personnes concernées, pouvant se traduire en posant les problématiques de domination et d’égalité, de dépendance et d’autodétermination. Malgré quelques avancées à ce niveau, davantage dans les discours que dans les actes, la catégorie du handicap, en tant qu’unité conceptuelle, réunit des personnes partageant une même condition biologique de manques, de déficiences ou d’incapacités, là où la référence aux droits permet de concevoir la catégorie « handicapé » comme la réunion de personnes partageant le même type de domination.

C’est ce que n’a pas manqué d’observer, dans son rapport de janvier 2019, la rapporteuse spéciale sur les droits des personnes handicapées suite à sa visite en France. Elle y indique : « La définition du handicap est axée sur la déficience et non sur l’interaction de la personne avec l’environnement et sur les obstacles existants ». Et dans ses conclusions, elle recommande que « le pays devra adopter une approche du handicap fondée sur les droits de l’homme ».

Pour autant, il semble bien que les politiques publiques s’enferrent dans des approches qui ne sont pas conformes à ces principes. Si le discours a changé et s’est enrobé de formules faisant appel à cette nouvelle approche selon les droits, une réforme comme celle en cours dans le secteur médico-social (SERAFIN-PH : services et établissements, réforme pour une adéquation des financements aux parcours des personnes handicapées) persiste à réduire les personnes handicapées à une liste de besoins, considérés comme des écarts par rapport aux normes d’une personne en bonne santé, et que les réponses en termes de prestation combleraient. C’est ainsi confirmer une approche individuelle et déficitaire des personnes en situation de handicap, dont les politiques publiques auraient la charge de compenser les manques.

Si la réforme fait appel à la participation sociale, à l’autonomie et l’autodétermination, il n’en reste pas moins que la conception des personnes handicapées se réduit à des besoins pour atteindre autant que possible la norme des « valides ». On parie en définitive sur la transformation de la personne, et non sur la transformation sociale. Comme avant.

Jean-Yves Le Capitaine

Édito N° 4 - 2021

La novlangue de l’inclusion

La novlangue, terme « inventé » par l’écrivain George Orwell dans son roman 1984, désigne cette langue totalitaire de l’Angsoc, où le mot utilisé qualifie son contraire : « La liberté, c’est l’esclavage, la paix c’est la guerre ».

Les personnes ayant des déficiences, des maladies, des troubles, des incapacités, vivent des situations de handicap selon les environnements dans lesquels elles vivent, qui les mettent hors société, tant à l’école qu’au travail, dans l’habitat comme dans l’exercice de leur citoyenneté. Par exemple, le taux de non emploi des personnes en situation de handicap est le double de celui des personnes non handicapées ; de nombreux élèves en situation de handicap ne sont pas scolarisés, ou le sont de manière très partielle (quelques heures par semaine) faute d’aides humaines suffisantes ou d’aménagements pédagogiques ; l’espace public n’est que très partiellement aménagé ou accessible. Les droits de ces personnes à être avec et comme tout le monde sont par conséquent loin d’être respectés. La situation de l’école est emblématique : sont nommés dispositifs inclusifs, des organisations qui organisent des séparations au sein des établissements scolaires, comme les ULIS (unités localisées pour l’inclusion scolaire) ou les UEE (unités d’enseignement externalisée) des établissements spécialisés.

Et pourtant le discours officiel, et le discours médiatique qui le relaie, qualifient les conditions de vie des personnes en situation de handicap de notre société comme inclusives : il n’est de jour où l’on ne parle d’école inclusive, où l’on fasse connaitre une initiative locale d’inclusion, où l’on communique sur les changements fondamentaux de la situation des personnes handicapées. A croire qu’en définitive, au regard des réalités des situations de handicap vécues par les personnes, « l’inclusion, c’est la poursuite de la ségrégation, de la discrimination, de l’exclusion, des droits incomplets, … ».

C’est une faute politique que de laisser croire que les obstacles que rencontrent les personnes en situation de handicap pour vivre convenablement dans une société ne comptent pas, ou tout au moins qu’ils sont transformés, par cette novlangue politique, en réalités satisfaisantes. Certes, des efforts substantiels sont faits pour améliorer leurs situations de vie, tant au niveau des réglementations qu’au niveau des organisations, mais avec des limites importantes dénoncées par les personnes en situation de handicap. Cependant, s’appuyer sur ces améliorations pour justifier d’un choix inclusif constitue un leurre, un mensonge, une perversion du langage. Ce ne sont pas ces petites améliorations, aussi intéressantes soient-elles, qui définissent une société inclusive.

Jean-Yves Le Capitaine

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